Relance du processus de Luanda entre le Rwanda et la RDC : Le pays de Tshisekedi piégé de nouveau (Dossier) 

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La récente annonce de la relance du processus de Luanda via des négociations secrètes entre les maîtres espions de la région ainsi que, semble-t-il, la signature d’un accord a suscité un mélange de scepticisme et de crainte parmi les observateurs de la région des Grands Lacs que nous sommes. L’accord prétendument signé inclut deux volets à savoir : un plan de neutralisation des FDLR et et un plan de retrait des «forces»non autrement définies, mais qui fait implicitement référence à l’armée rwandaise… 

Ce plan, qui prévoit une série d’actions ciblées menées par les FARDC avec une collaboration possible de l’armée rwandaise (RDF), semble tout droit sorti d’un manuel diplomatique utopique et déconnecté des réalités complexes du terrain. L’initiative est non seulement irréaliste dans sa conception, mais elle pose également des questions éthiques et stratégiques profondes pour la RDC. 

1.Qui sont les FDLR ?:  Une absence de clarté aux implications graves…

Le premier obstacle à la mise en œuvre de ce plan est simple : Comment définit-t-on exactement qui sont ces FDLR qu’il faudrait abattre selon Kigali?

Les FDLR, en tant que groupe, ont beaucoup évolué au fil des décennies. Aujourd’hui, ils comprennent une diversité d’individus, parmi lesquels se trouvent certes d’anciens officiers des Forces armées rwandaises (ex-FAR), mais également une majorité de jeunes combattants nés après 1994 dans des camps de réfugiés en RDC. Autour d’eux gravitent également des civils, des femmes et des enfants rwandophones qui vivent en RDC depuis des décennies au sein de communautés congolaises locales.

En outre, l’est de la RDC est peuplé de plusieurs groupes ethniques rwandophones dont des hutus congolais qui font notamment partie des fameux groupes congolais d’auto-défense dit «Wazalendo» et dont l’action salutaire a empêché l’avancée des RDF au Nord-Kivu. Kigali veut désormais les amalgamer avec les FDLR pour les faire dissoudre et ainsi fragiliser durablement le dispositif sécuritaire de la RDC dans la région.

Cette complexité ethnique et sociale soulève donc une question cruciale : va-t-on simplement massacrer sans distinction ces Hutu rwandophones vivant en RDC sous prétexte de neutraliser les FDLR ? Sans une définition claire, précise et transparente de qui constitue réellement les FDLR, il y a un risque considérable que des actions militaires mal ciblées mènent à des exactions massives contre des civils rwandophones innocents ainsi que les autres communautés congolaises avec lesquelles ils vivent. C’est-à -dire, exactement les mêmes crimes de guerre commis par la RDF lors de ses multiples incursions et documentés extensivement dans le mapping report.

2. Critères de succès : Une promesse irréaliste

Le plan prévoit une période extrêmement courte — cinq jours — pour «neutraliser» les FDLR. Cette durée est, à tout le moins, ambitieuse, et à tout le pire, délibérément trompeuse. Pour comprendre l’ampleur de la tâche, il est important de se rappeler que les opérations militaires conjointes menées par la RDC et l’Ouganda contre d’autres groupes rebelles, comme les ADF, durent depuis plus de trois ans sans avoir atteint de succès décisif, malgré l’engagement de moyens considérables.

Dans ce contexte, comment peut-on s’attendre à ce qu’une opération contre les FDLR — un groupe dispersé, bien enraciné dans la population locale, et qui a survécu à plusieurs offensives au fil des ans — soit achevée en moins d’une semaine ou même en un an?

Les critères de succès du plan doivent être définis de manière réaliste, ce qui implique de comprendre que la neutralisation complète des FDLR ne se limite pas à une série de frappes militaires rapides. Une telle approche nécessite une vision à long terme, reposant principalement sur un processus d’ouverture politique au Rwanda pour traiter les causes profondes du conflit entre ce groupe et le régime de Kigali.

Il est également important de rappeler que les FDLR ont déjà montré leur disposition à renoncer à la lutte armée dans le cadre de négociations, comme en témoigne l’accord signé en 2005 sous la médiation de la Communauté de Sant Egidio. Cet accord a vu les FDLR s’engager à cesser les hostilités et à transformer leur combat en une lutte politique. En échange, ils demandaient un dialogue politique avec le gouvernement rwandais et un retour pacifique dans leur pays.Malheureusement le Rwanda s’est retiré de cette médiation à la dernière minute et sans explication mais cela montre que d’autres options existent…

Dernier point et non des moindres, le nouveau plan de Luanda prévoit également «la collaboration des FARDC avec les RDF/M23 pour neutraliser les FDLR». Qui peut imaginer que le peuple congolais acceptera cette configuration ? Comment ce message pourrait-il être intelligible pour la population du Nord-Kivu sans impacter significativement la crédibilité du leadership congolais ? Sans compter qu’en cas d’échec, tout le narratif, tant sur le plan national qu’international, que la RDC promeut sera définitivement caduque.

3.Evaluation de l’action contre les FLDR, le piège se referme sur la souris!

À l’issue de ces opérations, une évaluation conjointe de l’exécution du plan est censée avoir lieu pour déterminer si les objectifs ont été atteints. Cependant, il est difficile d’imaginer que les conclusions ne seront pas biaisées d’autant plus que le retrait des RDF/M23 du territoire congolais est conditionné à ce succès.

Il est plus que certain que le Rwanda contestera les résultats et que la RDC se retrouvera piégée avec un doigt dans l’engrenage sans pouvoir en sortir, les RDF repoussant sine die leur départ puisque le prérequis de la neutralisation n’est pas encore (ou plutôt ne sera jamais) atteint.

4. Le flou autour du retrait des troupes rwandaises : Une absence de garanties vérifiables

Le second point d’interrogation concerne la vérifiabilité du retrait des troupes rwandaises du territoire congolais, si tant est bien sûr que la première partie de l’accord (i.e., la neutralisation des FDLR) soit réalisée. Le terme «forces» employé dans l’accord reste volontairement flou et ambigu, rendant confuse la distinction entre les troupes du M23, soutenues par le Rwanda, et la Rwanda Defence Force (RDF). 

Qui part et qui reste ? Les Congolais sont en droit de se demander comment ils pourront être certains que ces «forces» sont réellement parties. Qui assurera la surveillance et la confirmation du retrait ? Que deviendront les zones actuellement administrées par les RDF/M23? Vont-ils accepter que la RDC reprenne sa pleine souveraineté et transférer la responsabilité aux élus locaux congolais ?

Surtout, qu’adviendra-t-il des prétendus 100 000 réfugiés congolais vivant au Rwanda, que Kagame insiste à vouloir renvoyer à l’issue de la crise ? Qui vérifiera leur identité en l’absence de cartes d’identité ou de registres de population fiables ? Leur retour pourrait-il servir de prétexte pour maintenir une influence rwandaise déguisée sur le territoire congolais ?

En outre, l’accord prévoit la présence officielle d’officiers de renseignement rwandais en RDC. Pensez-vous que Kigali accepterait un jour des officiers de renseignement de la RDC qui se baladent librement au Rwanda pour s’assurer que des figures comme Nkunda et Makenga restent tranquilles ? Si il y a des officiers de renseignement congolais au Rwanda un jour demandez leur de vous indiquer à quelle adresse réside Laurent Nkunda vous aurez votre réponse!

5. Le M23 : Une épée de Damoclès permanente

Ensuite, en supposant que le retrait des troupes rwandaises et la neutralisation des FDLR soient effectifs, que deviendra le M23 et surtout ses troupes ? Ce pseudo groupe rebelle, soutenu de manière notoire par Kigali, ne disparaîtra pas simplement avec le retrait des troupes rwandaises tout comme il n’a pas disparu après 2013. Il continuera d’exister en tant qu’épée de Damoclès sur le cou de la RDC, prêt à être réactivé à chaque fois que Kigali estimera que ses intérêts économiques ou stratégiques sont menacés en RDC. 

Le Rwanda a montré par le passé sa capacité à garder au chaud des rebelles ou des putschistes, qu’ils soient du Burundi ou de la RDC, pour les utiliser comme leviers d’influence. Godefroid Niyombare, Laurent Nkunda et Sultani Makenga en sont des exemples vivants. La RDC peut-elle réellement espérer une sécurité durable tant que ces réseaux existent ?

Si certains considèrent que le Rwanda est en droit de demander l’élimination des FDLR, ou du moins de leur haut commandement, en raison de la menace qu’ils représentent, la RDC devrait alors pouvoir exiger la même chose pour le M23 et ses dirigeants, responsables de la partition de facto de son territoire et des crimes en cours. Pourtant, la réalité montre un traitement asymétrique, et il serait intéressant de se demander pourquoi cette différence persiste.

6. L’Économie un sujet qui reste tabou

Au cœur de cet accord, un élément clé manque toujours : l’économie. À son arrivée au pouvoir, le président Tshisekedi avait tenté de s’attaquer à la racine du problème en abordant directement la dimension économique. Il avait proposé au Rwanda un accès exclusif à l’or de l’est de la RDC, une initiative qui, bien que échouée, avait le mérite de confronter une réalité incontournable : le Rwanda dépend des ressources congolaises pour sa survie économique.

Selon une enquête de l’Institute for Security Studies, la jRDC perd plus d’un milliard de dollars chaque année à cause de la contrebande de ses minerais vers le Rwanda. Ce trafic concerne principalement les minerais dits « 3T » — étain, tantale et tungstène — des matières premières essentielles à l’industrie électronique mondiale.

Historiquement, il a été rapporté que jusqu’à 90 % des minerais exportés du Rwanda provenaient en réalité de la RDC, particulièrement durant les premières années du programme ITSCI (International Tin Supply Chain Initiative), qui visait à prévenir le commerce des minerais de conflit et à en assurer la traçabilité.

Pour illustrer l’ampleur de cette contrebande, alors que le Rwanda n’a officiellement exporté que 2 163 kilogrammes d’or en 2018, les Émirats arabes unis ont déclaré avoir importé plus de 12 500 kilogrammes d’or provenant du Rwanda cette même année, révélant un décalage flagrant. Ce trafic à grande échelle, bien qu’en partie dissimulé, reste l’un des moteurs économiques cachés du Rwanda et explique en grande partie pourquoi Kigali ne renoncera pas facilement aux bénéfices générés par ces ressources congolaises.

Ignorer cette dimension, c’est signer un accord condamné d’avance. Kagame ne renoncera pas à ces milliards de dollars pour les beaux yeux de la communauté internationale, et croire le contraire, c’est faire preuve d’une naïveté impardonnable.

7. Conclusion : Un besoin urgent de réalisme et de transparence

La RDC et ses partenaires doivent se poser la question de savoir s’ils veulent réellement résoudre la crise sécuritaire à l’Est du pays pour de bon, ou s’ils cherchent simplement à gagner du temps avec une accalmie temporaire. Le choix de la première option nécessite un engagement sérieux, une approche réaliste, et des garanties solides pour s’assurer que les erreurs du passé ne soient pas répétées.

L’accord, dans sa mouture actuelle, n’est qu’une série de concessions unilatérales de la part de la RDC, sans aucune contrepartie du côté rwandais. Ce plan ne parvient même pas à obtenir une reconnaissance officielle de la présence rwandaise en RDC ou de leur soutien au M23. Les négociateurs de chaque pays devraient se demander «What’s in it for me» (Qu’est-ce que j’y gagne ?) , comme disent les américains. Car, à ce stade, la RDC ne gagne rien, si ce n’est une accalmie potentielle… avant la prochaine explosion!

En parallèle, à la fin du mois d’août, un groupe de lobbyistes américains proches du Pentagone et à la solde du Rwanda, a lancé une campagne pour promouvoir ce qu’ils ont appelé «le modèle Kurde» comme solution pour l’Est de la RDC tout en soulignant que la RDC est la clé pour garantir la suprématie technologique américaine dans les années à venir!

Il est donc plus que temps que la RDC se réveille, car la nouvelle feuille de route de Luanda risque de n’être qu’une énième page dans le long livre des solutions superficielles et des promesses non tenues qui ont marqué la gestion de cette crise depuis trop longtemps.

La RDC risque non seulement d’échouer à résoudre le problème, mais aussi de se rendre complice d’actes de génocide sur son propre sol, tout en compromettant davantage sa souveraineté et sa crédibilité internationale. La paix et la stabilité dans notre région tourmentée ne pourront être atteintes que si toutes les parties prenantes abordent la situation avec lucidité, transparence et un véritable désir de changement durable.

Dossier de la Rédaction avec la collaboration de Jean-Luc Habyarimana

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