RDC : Quand le message de Martin Fayulu défie et affaiblit Joseph Kabila (Tribune)

L’innocence «kabiliste» en question
Avant son discours en 12 points, Joseph Kabila affichait une unité de façade avec Martin Fayulu, Moïse Katumbi et Delly Sesanga, soutenant le «Pacte social» de la CENCO-ECC. Ce bloc s’est cependant révélé être une béquille pour Kabila, dont le supposé rapprochement, voire le «deal» avec l’AFC/M23 restait méconnu de ses alliés. À cette époque, Fayulu considérait Kabila comme un innocent injustement accusé par Félix Tshisekedi.
Le discours en 12 points a marqué un tournant : il a ouvert les yeux de Martin Fayulu, qui a alors vu en Joseph Kabila non plus un simple acteur politique, mais un «normalisateur» complice d’une agression rwandaise condamnée par la communauté internationale.
C’est à ce moment que Fayulu a rappelé au «Raïs» que «la RDC lui avait tout donné» et qu’il se devait de lui rendre l’ascenseur en œuvrant pour la stabilité du pays.
Les suspicions de Fayulu face aux agissements de Kabila
Le séjour prolongé et sans inquiétude de Joseph Kabila à Goma, une zone sous occupation du RDF/AFC/M23, ainsi que ses consultations avec les forces vives du Nord-Kivu, ont alimenté les doutes de Martin Fayulu. Plusieurs questions se sont imposées :
-Comment justifier un séjour paisible dans une zone contrôlée par des forces que l’on n’a jamais condamnées publiquement ?
-Comment affirmer ne pas collaborer avec le Rwanda ni l’AFC/M23, tout en bénéficiant d’une protection assurée par l’armée rwandaise ?
-Qu’explique la posture dominante de Kabila dans une zone administrée par d’autres autorités, effacées par sa présence ?
- Comment consulter des forces vives aux revendications nationalistes, opposées à l’agenda de l’occupant qui ne réagit pas ?
Ces interrogations ont heurté le patriotisme de Fayulu, qui a refusé de cautionner le président honoraire et l’a publiquement sommé de quitter Goma.
Le défi lancé à Kabila : prouver son innocence
Le message de Fayulu est clair : Joseph Kabila a trahi la RDC en collaborant avec ceux qui la déchirent. En l’appelant à quitter Goma, Fayulu l’a mis au défi :
-De prouver qu’il ne sert pas les intérêts du Rwanda.
-De démontrer qu’il n’a aucun lien avec l’AFC/M23.
-De montrer qu’il ne participe pas à un projet de balkanisation du Congo.
-De convaincre qu’il n’est pas engagé dans une entreprise criminelle contre le peuple qu’il a dit être le sien pendant 18 ans de règne.
L’affaiblissement politique de Kabila
L’alliance Kabila-Katumbi-Fayulu-Sesanga avait redonné une certaine légitimité à Joseph Kabila, lui permettant de se repositionner comme un acteur central après les chutes de Goma et Bukavu. Cependant, la prise de position ferme de Fayulu, refusant toute justification à une collaboration avec les forces hostiles à la RDC, a porté un coup dur à Kabila.
Désormais, ses «consultations» perdent en crédibilité. Un allié de poids s’est détaché, et un soutien politique crucial s’est évanoui.
Fayulu, qui s’est toujours présenté comme une victime de la duplicité de Kabila (notamment lors de la présidentielle de 2018), n’a jamais envisagé de recourir aux armes pour contester le pouvoir. C’est pourquoi il refuse toute légitimité à Kabila d’adopter une posture belliqueuse, au prix du sang des Congolais.
Si Kabila persiste dans cette voie, il confirmera son alignement sur le Rwanda, assumant le rôle d’un ancien président responsable de la mort de milliers d’innocents. Affaibli, il ne pourra plus se présenter comme un leader national, mais risquera d’être perçu comme un acteur destructeur, voire un «diable incarné».
Le bénéfice de la rencontre Tshisekedi-Fayulu
L’intransigeance de Martin Fayulu envers le pouvoir de Félix Tshisekedi a longtemps été caractéristique. «J’exige la vérité des urnes» : une revendication persistante, traversant deux mandats. «Le problème, c’est M. Tshisekedi», affirmait-il, avant de lancer récemment : «Le peuple n’est pas dupe. Que donnera la troisième grossesse du FCC-CACH ?» Malgré ces demandes légitimes, Fayulu n’a pas sombré dans le pourrissement, passant de l’exigence de transparence électorale à l’ouverture au dialogue. Contrairement à Kabila, faiseur de miracles, prétendant détenir la solution pour mettre fin à ce qu’il qualifie de tyrannie, MAFA a opté pour une approche constructive.
Sa rencontre annoncée avec Félix Tshisekedi témoigne d’un dépassement de soi qu’il oppose désormais à Kabila, Katumbi et à toute une opposition tentée par la «bellicosité». De son côté, Tshisekedi mérite d’être salué pour avoir rapidement accepté cette démarche. Malgré l’imperium légitime que lui confère sa « réélection triomphale » de 2023, il montre ainsi sa volonté de faire des concessions pour privilégier l’apaisement et le bien-être de la population.
Ambroise Mamba Ntambwe, Journaliste et chercheur en Sciences politiques